Interview croisée avec Pascal Canfin, eurodéputé macroniste : « la seule issue est un gouvernement NFP ouvert au dialogue »

Août 21, 2024 | Actualités

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Entretien Quelle coalition pour le prochain gouvernement ? La gauche et les macronistes peuvent-ils s’entendre ? Sur quels sujets ? L’eurodéputé Pascal Canfin, ex-écolo devenu l’un des visages de l’aile gauche du camp présidentiel, et le député socialiste Arthur Delaporte en débattent.

L’eurodéputé Pascal Canfin, réélu en juin au Parlement européen sous la bannière macroniste estime qu’il serait « logique » de confier au Nouveau Front Populaire (NFP) la tâche de former un nouveau gouvernement. Le député socialiste Arthur Delaporte reconnaît, lui, que le NFP est dans une situation de majorité relative ténue. « Le Nouvel Obs » les a interrogés.

La France n’a plus de gouvernement depuis plus d’un mois. Quelles leçons tirez-vous, l’un et l’autre, de ces dernières semaines ?

Pascal Canfin La première leçon que je tire est que, depuis ces échanges de lettres envoyées mi-août par Gabriel Attal et Lucie Castets aux parlementaires, chacun sort de sa posture initiale. Néanmoins, la réalité reste la même : aujourd’hui, personne ne s’est assis autour d’une table pour discuter ce que pourrait être un accord législatif à durée déterminée. Aucune dynamique positive ne s’est enclenchée autour de ne serait-ce qu’une poignée de propositions. Nous sommes toujours dans une impasse et nous n’en sortirons que si tout le monde accepte de respecter les règles fondamentales propres à toute démocratie parlementaire.

La première est simple : c’est à l’alliance électorale arrivée en tête des législatives, en l’occurrence le Nouveau Front Populaire (NFP), de former une coalition. Mais, et c’est la deuxième règle, cette alliance ne peut prétendre accéder à Matignon sans avoir au préalable créé les conditions d’un soutien majoritaire à l’Assemblée. Lesquelles garantissent au Premier ministre et à son gouvernement de ne pas tomber dans les heures qui suivent sa nomination. Ces deux conditions, qui fonctionnent partout en Europe, ne sont à ce stade pas réunies en France.

Arthur Delaporte Je partage une partie de ce constat. Nous sommes au NFP dans une situation de majorité relative ténue. Nous avons une trentaine de députés de plus que le bloc présidentiel. Pour pouvoir passer des textes, cela impose donc – si nous sommes en situation de gouverner – de devoir discuter avec ce bloc macroniste. Mais pour cela, il faudrait que notre légitimité soit reconnue. Je me félicite que Pascal Canfin le fasse. Je regrette toutefois que le président n’ait pas demandé à notre coalition de former un gouvernement dès le lendemain de l’élection. Aujourd’hui, les macronistes disent vouloir censurer par principe n’importe quel gouvernement où seraient présents des insoumis : c’est un vrai problème de blocage intellectuel et politique. Car comment, dès lors, entamer des discussions de fond auxquelles par ailleurs nous sommes prêts ? Je le redis : nous sommes prêts à discuter. A condition que ceux qui ont été sanctionnés par les électeurs reconnaissent qu’ils sont prêts à nous laisser proposer une autre voie pour le pays. Pour l’heure, cela n’existe pas. La situation évoluera-t-elle au terme du cycle de consultations des forces politiques qui débute à l’Elysée ce 23 août ?

La gauche reproche à Emmanuel Macron de ne pas reconnaître sa défaite et de vouloir garder la main le plus longtemps possible. Est-il dans le déni ?

Pascal Canfin Le président souhaite garder la main, c’est une évidence. Qu’il ait décrété une forme de trêve durant les Jeux olympiques, personne ne peut lui reprocher. En revanche, maintenant, il faut accélérer. Pour moi, il faut donner une chance à la coalition sortie en tête dans les urnes : le NFP. Je suis conscient d’être minoritaire dans mon camp mais j’estime qu’accorder au NFP le droit de tenter de former un gouvernement est une nécessité. A condition bien sûr qu’il ait au préalable, et avant même de se poser la question de l’identité du Premier ministre, créé les conditions d’un soutien majoritaire à l’Assemblée. Se posera ensuite la question du statut particulier de La France insoumise (LFI). Un grand nombre de députés du bloc macroniste sont opposés à l’idée de discuter avec des leaders insoumis. A titre personnel, j’estime que LFI – parce qu’elle a joué le jeu d’un front républicain qui a, il faut le rappeler, permis d’échapper à l’hypothèse de voir Jordan Bardella s’installer à Matignon – ne doit pas être exclue par principe. Mais les insoumis sont-ils capable de s’inscrire dans une logique de compromis ? Il semblerait plutôt que Jean-Luc Mélenchon soit dans une stratégie de tension permanente incompatible avec l’esprit même d’un contrat de coalition.

Le Nouveau Front populaire peut-il demain s’inscrire dans une logique de compromis avec le bloc central ?

Arthur Delaporte Il est faux de prétendre que nous ne serions pas ouverts à la discussion et que nous serions repliés sur le programme – rien que le programme. Encore une fois, je me réjouis d’entendre Pascal Canfin nous reconnaître une légitimité à tenter une expérience gouvernementale. Charge à nous maintenant de construire les bases d’un contrat de gouvernement en disant : voilà le chemin, la méthode et les textes sur lesquels nous pouvons nous retrouver. C’est d’ailleurs tout le sens de la lettre envoyée à tous les parlementaires, hormis ceux du RN, par Lucie Castets. En donnant des gages à la future opposition (plus de temps législatif, élaboration de textes en amont, davantage de rapporteurs), nous avons fait un pas sur la méthode. Or, je ne vois rien de tel du côté de l’ancienne majorité. Sur le fond, quand je relis la lettre de Gabriel Attal qui débute par la priorité donnée au redressement des comptes publics en conditionnant les aides sociales sur la logique de ce qui a été fait pour le RSA [la loi qui a créé France Travail en décembre 2023 oblige les demandeurs d’emploi à effectuer 15 heures d’activité par semaine pour bénéficier d’un accompagnement, NDLR], je me dis qu’il ouvre davantage la porte à Laurent Wauquiez qu’au NFP.

Pascal Canfin Sur le sujet de la méthode, le NFP dit en substance : « Nommez-nous à Matignon et ensuite nous trouverons une coalition. » Mais vous faites les choses à l’envers. Dans tous les pays européens habitués aux systèmes de coalition, il existe dans les partis des négociateurs qui, au lendemain des élections, se rencontrent, discutent et arrivent à une feuille de route signée par suffisamment de groupes parlementaires pour constituer une majorité. De là, découle un Premier ministre. Cela étant, il existe des alternatives à ce scénario d’un gouvernement NFP. Parmi celles-ci : l’hypothèse d’un gouvernement de droite et de centre-droit avec LR qui ne tiendrait qu’avec le soutien tacite du RN. Mais ce scénario, qui irait à l’encontre du front républicain qui s’est mis en placelors des législatives, est innacceptable pour de nombreux parlementaires Ensemble pour la République (ex-Renaissance) et MoDem.

Autre alternative : transposer à l’Assemblée « la majorité von der Leyen » du Parlement européen. Il faudrait alors imaginer une coalition qui irait de la droite Xavier Bertrand jusqu’au PS et EELV. En Europe, c’est possible. Pourquoi pas en France ? Evidemment, cela impliquerait que le PS et les Verts actent une rupture avec le LFI. Ce qui, pour l’heure en tout cas, ne paraît pas possible. Les provocations incessantes de Jean-Luc Mélenchon pourraient-elles changer la donne et faire imploser le NFP ?

Arthur Delaporte Mais pourquoi nous, socialistes, accepterions de rompre les amarres ? Nous avons été élus sur un projet qui est celui du NFP ! Non, je ne crois pas à la perspective d’une « majorité von der Leyen » avec un bloc macroniste qui, en dépit du fait qu’il ait été sanctionné par les électeurs, serait en position centrale. Cette analogie avec le Parlement européen ne me paraît pas pertinente.

L’initiative de Jean-Luc Mélenchon qui, dans « la Tribune du dimanche », a brandi la menace de la destitution du président peut-elle faire vaciller le NFP ?

Arthur Delaporte C’est une tentative d’exister dans la torpeur du 15 août qui ne remet pas en cause l’alliance programmatique du Nouveau Front populaire. On ne va quand même pas tout faire éclater sur le seul fondement d’une proposition de destitution ! C’est juste un coup de com raté des insoumis.

Sur quels sujets la gauche et le bloc macroniste peuvent-ils trouver un terrain d’entente ?

Pascal Canfin Je vois trois catégories de textes. Un : ceux sur lesquels il peut y avoir un accord possible dans l’année : la fin de vie par exemple. Deux : ceux sur lesquels aucun accord n’est envisageable et qui reviendraient à mettre en cause le principe même d’un accord : les retraites par exemple. Ou la remise en cause de la politique de l’offre par des mesures du programme NFP qui, prises dans leur ensemble, sont déraisonnables. Le smic à 1600 euros, la hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires, les investissements massifs dans les services publics uniquement financés par l’augmentation de la fiscalité, la remise en cause du crédit d’impôt recherche… Chaque mesure prise séparément peut tout à fait se discuter. Mais leur cumul est irréaliste. Enfin trois : les textes où un compromis est imaginable. Je pense à des sujets comme l’immigration ou la justice fiscale. Sur l’immigration, on pourrait imaginer reprendre une idée émise par Olivier Véran de lancer une convention citoyenne sur les politiques migratoires, méthode qui permettrait de dépolariser le sujet. Au MoDem et même au sein du parti Renaissance, plusieurs voix se font par ailleurs entendre pour que les règles du jeu fiscal soient modifiées. Ces sujets peuvent faire l’objet d’une négociation. La fiscalité est un nœud gordien de la discussion. Il faut distinguerce qui relève de la justice fiscale et de la politique de l’offre. Dans ce qui relève de la justice fiscale, il est possible de bouger : sur les rachats d’actions, la flat tax [prélèvement forfaitaire sur les dividendes d’actions, NDLR]. En revanche, il est nécessaire de garder une politique de compétitivité qui commence à porter ses fruits en termes de réindustrialisation et de baisse de chômage.

Le NFP peut-il être d’accord sur cette méthode-là ?

Arthur Delaporte Cette vision est proche de la nôtre. Un problème se pose néanmoins : ces discussions doivent bien être menées par quelqu’un. Il aurait donc été judicieux que le président nous demande de former la base d’un accord de gouvernement pour bâtir un agenda législatif derrière. Le triptyque porté par les socialistes depuis le 7 juillet est simple : front populaire au gouvernement, front républicain à l’Assemblée, front social dans le pays. Pour nous, bien sûr que des sujets peuvent faire consensus : la fin de vie, la protection de l’enfance, les familles monoparentales, la lutte contre les déserts médicaux ou les violences faites aux femmes. Sur des sujets de clivages comme les retraites, nous pouvons trouver des majorités mais nous aurons surtout recours aux partenaires sociaux par un retour au dialogue social. Sur la fiscalité, on ne pourra pas mener des politiques de soutien au pouvoir d’achat, de revalorisation des services publics sans augmenter la fiscalité sur les entreprises et les ménages les plus riches. Il y aura des arbitrages à prendre. Il faudra mener la discussion budgétaire et nous sommes conscients de la nécessité de débattre au sein d’une Assemblée qui n’a jamais été aussi fragmentée. Je ne vois pas d’autre issue aujourd’hui que celle d’un gouvernement NFP ouvert au dialogue au Parlement. Et cela peut tout à fait être durable si nous avons l’intelligence collective de dépasser les anathèmes.

Propos recueillis par Alexandre Le Drollec