Louis Mexandeau, ancien ministre de François Mitterrand dont il était proche, et ancien député du Calvados, s’est éteint ce lundi 14 août 2023. Il avait fêté en juillet dernier ses 92 ans. 

Louis Mexandeau, qui aimait glisser quelques mots de Chti ou patois picard à ses interlocuteurs, était attaché à ces lieux du Pas-de-Calais où il avait grandi, à Wanquetin, à côté d’Arras dans une famille d’agriculteurs engagés dans la Résistance. Mais c’est à Caen que « Mex » a choisi de s’installer et de faire sa vie politique.

Il est arrivé dans le Calvados, en 1961 en tant que professeur agrégé d’histoire, nommé au lycée Malherbe puis en classes préparatoires dans ce même établissement. Érudit, auteur de plusieurs livres d’histoire notamment – en particulier sur l’histoire du Parti socialiste mais aussi sur les capétiens ou la seconde guerre mondiale – il avait commencé ses études à Sciences Po à Paris mais avait dû les abandonner faute de moyens. 

De retour dans le Nord, à Lille où il s’inscrit à la fac d’histoire, il exerce en parallèle l’activité de surveillant d’internat à Arras, la ville du socialiste Guy Mollet dont il avait côtoyé les filles. 

Après quelques années, il revient à Paris où il étudie à la Sorbonne tout en continuant de travailler comme maître d’internat, au lycée Henri IV notamment… dont il est renvoyé pour avoir organisé une mobilisation et poussé les maîtres au pair à se syndiquer. C’est d’ailleurs cet engagement militant – dans le cadre du syndicat des maîtres d’internat – qui l’avait conduit à pousser une première fois les portes de la FEN, la puissante fédération de l’éducation nationale dont les locaux étaient alors au 10 rue de Solférino. Le Parti socialiste les occupera à partir de 1981. Il s’était d’ailleurs farouchement opposé à leur vente en 2017. 

Arrivé à Caen, Louis Mexandeau – qui avait eu un passage militant au Parti communiste – s’engage d’abord pour la culture. Le milieu des années 1960 est marquée par une crise profonde au théâtre de Caen – alors Théâtre Maison de la Culture – qui voit s’opposer Jo Tréhard, que Louis Mexandeau soutient en créant l’ATMC, l’association des amis du TMC, et le maire de Caen Jean-Marie Louvel.

C’est à la Sorbonne qu’il avait rencontré le communiste devenu socialiste Jean Poperen, historien lui aussi, mais aussi qu’il se lie d’amitié avec Louis Mermaz en préparant l’agrégation. C’est ce dernier qui l’incitera à venir rencontrer François Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1965 où il était le candidat unique de la gauche. 

Dès lors, Louis Mexandeau se liera d’amitié et de fidélité avec le futur président de la République. Fondateur et responsable de la Convention des institutions républicaines dans le Calvados – le parti de Mitterrand –, premier Premier secrétaire fédéral du Parti socialiste du Calvados après l’unification des socialistes sous l’égide de Mitterrand à Epinay en 1971,  premier député socialiste de la Cinquième République du département en 1973, après avoir été une première fois candidat en 1968. Sous son égide, même s’il laisse la main de la fédération à André Ledran après son élection à la députation en 1973, le Parti socialiste du Calvados se développe fortement et attire de nombreux militants. L’une des plus grandes manifestations est la fête de la Rose dans le parc de Beauregard qui attire chaque année plusieurs milliers de personnes. 

En 1975, il devient secrétaire national du Parti socialiste responsable des questions éducatives. Une de ses propositions fait débat en 1977 : la nationalisation des écoles privées ayant reçu des subventions de la part de l’État. C’est probablement cette polémique nationale qui conduira, lors de la victoire de 1981, à ce qu’il ne soit pas nommé ministre de l’Éducation nationale mais que François Mitterrand le charge des PTT. Il reste ministre à ce poste sous les différents gouvernements jusqu’en 1986. Parmi ses actions en faveur du service public de la Poste, le Minitel restera sa grande réalisation. Il occupera de nouveau une fonction ministérielle, de 1991 à 1993, en charge des anciens combattants. Louis Mexandeau s’était notamment beaucoup engagé pour le développement des commémorations du débarquement après son élection. 

Au niveau local, il aura également occupé tous types de mandats : conseiller départemental, régional, municipal, il aura fait de la conquête de la ville de Caen l’un des grands combats de sa vie. Candidat malheureux à cinq reprises jusqu’en 2001, la deuxième circonscription qu’il avait conquise de haute lutte en 1978 basculera à droite en 2002. Il avait pourtant réussi à la conserver en 1993, dans un contexte de débâcle pour la gauche, ayant travaillé un ancrage profond sur un territoire touché par la désindustrialisation dont il connaissait presque chaque maison.

J’ai rencontré pour ma part Louis Mexandeau pour la première fois après la fin de sa carrière politique active, en avril 2009. J’étais en terminale au lycée Victor Hugo. Dans le cadre d’un reportage pour la radio lycéenne, il nous avait, avec une camarade, reçu chez lui, rue de Bretagne. J’étais intimidé par ce bonhomme charismatique et bon vivant, coiffé au début de l’entretien de son grand chapeau et de son éternelle écharpe rouge – le style Mitterrand jusqu’au bout – et qui, au milieu de l’entretien, s’était mis à entonner une chanson paillarde. Je découvris plus tard qu’il était fondateur du Club de la chanson paillarde mais aussi, en lisant l’anthropologue Marc Abélès, que l’homérique combat du PACS en 1997 avait été rythmé, à la buvette des députés, par les chants militants ou populaires de Louis Mexandeau. Des agents de la buvette parlementaire s’en souviennent encore. 

Je l’ai recroisé, pendant mes études, à quelques reprises – notamment le jour de la panthéonisation de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay en mai 2015. Cette rencontre intervenait un mois après le congrès de Poitiers où il était venu soutenir la motion la Fabrique socialiste dont j’étais le secrétaire général. Il avait alors rappelé ne pas avoir manqué un congrès depuis 1971.

Nous avions donc, quelques semaines plus tard et après la cérémonie présidée par François Hollande, bu un Vittel-menthe près du lycée Henri IV que nous avions ensuite longé en dissertant. Son chapeau et son ombre mitterrandienne – il y avait ce jour-là un grand soleil – se dessinaient alors sur le mur de la chapelle du lycée qui fait face au Panthéon. Nous avions alors découvert un point commun : lui comme moi avions eu un passage à « pionville », le couloir où se trouvaient les logements de maîtres au pair, au-dessus de la chapelle. L’année suivante, je passais l’agrégation d’histoire. 

En 2018, il recevait une standing ovation de l’assistance du congrès d’Aubervilliers. Son intervention fut, à l’applaudimètre, de loin la plus marquante. Il y retraçait l’histoire du PS, depuis le congrès d’Epinay notamment, et ce que c’était que d’être un ardent militant socialiste. Quelques jours passèrent avant que je ne le croise à la bibliothèque de l’Assemblée nationale, occupé à recopier méticuleusement les lignes de son discours, à le « mettre au propre ». Louis Mexandeau était un travailleur. Mais la vidéo de l’intervention sur le compte du PS avait déjà déployé sa verve. Cinq ans plus tard, il faisait campagne à mes côtés pour les élections départementales sur le canton de Ouistreham dont il avait été l’élu. Il était d’un soutien et d’un conseil précieux, tout comme lorsque je suis devenu Premier secrétaire fédéral du Parti socialiste du Calvados en 2021.

Et puis ce fut la campagne législative de 2022. Le matin de l’accord scellant l’union de la gauche, avec la députée Laurence Dumont qui avait pris sa suite en reconquérant en 2007 la deuxième circonscription, nous nous sommes rendus chez lui. Dans sa cuisine, Laurence lui a annoncé qu’elle ne serait pas candidate à sa succession mais ma suppléante. Après 15 ans de mandat, elle avait choisi de passer la main. Il a souri, avec son air malicieux, et, immédiatement, s’est mis à parler stratégie et actions de campagne. Il a ressorti ses fichiers, son téléphone, s’est mis à rédiger des courriers, des communiqués de presse… Il fallait transmettre, et gagner.

Depuis mon élection, nous déjeunions régulièrement chez lui ou dans un restaurant où il avait ses habitudes. Il prenait le pouls de mon activité de député, prodiguait quelques conseils – le terrain, le terrain, le terrain, il n’y a que ça –, racontait les souvenirs de ses discussions avec François Mitterrand, ou analysait, avec le sourire en coin, les recompositions de la vie politique dont il ne perdait pas une miette. Il avait un avis informé sur tout et une mémoire d’éléphant.

Transmettre, c’était également ce qu’il faisait lors des conseils fédéraux, l’assemblée qui rythme presque chaque mois la vie du Parti socialiste local. Il venait et, à chaque fois, prenait la parole quelques minutes en suscitant l’intérêt et l’émotion de l’auditoire par ses analyses pour défendre, ces dernières années, la stratégie d’union de la gauche. Engagé dans la vie publique locale, pas une semaine sans qu’il n’écrive un communiqué de presse. Profondément socialiste jusqu’à son dernier jour, il aura vu passer et fait partager son analyse et son expérience à des générations de militants et de caennais. 

Il a fini sa vie et reposera à Saint-Gingolph, au bord du lac Léman, dans un lieu qu’il affectionnait tant.

À  ses proches, à sa famille, ses amis et camarades, j’adresse mes plus sincères condoléances. Nous aurons l’occasion de lui rendre hommage dans les prochaines semaines.

Arthur Delaporte