TRIBUNE – Migrants : Le gouvernement doit faire la lumière sur les pratiques à l’oeuvre à la frontière Branco-britanique

Sep 6, 2024 | Actualités, Tribune

Il faut venir à Calais pour s’en rendre compte. Murs, barbelés, grillages, blocs de béton ont remplacé les terrains forestiers dans cette ville où la pauvreté sévit durement et où les habitants vivent dans une prison à ciel ouvert.

Bienvenue en absurdie, où l’arsenal répressif est poussé à l’extrême pour décourager les personnes en situation de migration à s’installer. A Calais, les pires dispositifs sont à l’œuvre pour lutter obstinément contre les « points de fixation » : destruction et vol de biens, détournement des procédures judiciaires, entrave à l’accès à l’eau et à l’aide alimentaire, construction de clôtures, installation de rochers, harcèlement et intimidations.

Depuis la signature des accords du Touquet en 2003, visant à partager la gestion du contrôle des flux migratoires entre la France et le Royaume-Uni, la frontière britannique s’est déplacée à Calais où la police française est devenue le bras armé de la politique migratoire britannique.

Cette technique visant à rendre les territoires situés sur le littoral de la Manche aussi inhospitaliers que possible n’a eu pour effet que de militariser encore plus la frontière. Non seulement cette militarisation n’a pas empêché la hausse des traversées, mais elle les rend plus dangereuses. Pressurisées à Calais, de plus en plus de personnes en situation d’exil tentent à la hâte la traversée en partant du bas du littoral, ce qui augmente la durée de la traversée et les risques de naufrage.

Les conséquences sont dramatiques. Le 3 septembre, douze personnes sont mortes dans la Manche et deux autres sont portées disparues au large de Wimereux, près de Boulogne-sur-Mer. Ainsi, 2024 devient l’année la plus meurtrière à la frontière, selon Utopia 56. Depuis le début de l’année, trente-cinq personnes sont mortes en mer (noyades, chocs thermiques, piétinements…).

Cette situation humanitaire désastreuse nourrit à la fois les réseaux mafieux qui tirent parti de cette misère humaine, mais également les partis d’extrême droite qui voient dans cette désertion de la puissance publique, une occasion d’engranger des voix. Les voix de celles et ceux qui se sentent abandonnés face à la gestion de cette misère humaine, sommés de gérer à leur petite échelle les conséquences des dérèglements du monde.

Cette réalité quotidienne ne fait malheureusement plus la une des journaux, malgré les alertes répétées des associations installées à Calais comme Utopia 56, qui font face à l’horreur sur le terrain et à la surdité au sommet de l’Etat. Tout comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui ont condamné à plusieurs reprises la France, ces associations dénoncent des atteintes intolérables aux droits fondamentaux dont sont victimes les personnes exilées aux frontières françaises.

Le 23 mars, le collectif de journalistes d’investigation Lighthouse Reports, dans une enquête publiée dans les grands quotidiens Le Monde, The Guardian et Die Welt, a révélé les techniques inhumaines opérées par les forces de police et de gendarmerie françaises en mer en dehors de tout cadre juridique pour empêcher les traversées, quitte à mettre en danger la vie d’autrui : perçage de la coque des bateaux, lancement de filet pour paralyser l’hélice, manœuvre pour faire chavirer les embarcations…

L’enfer vécu par les exilés n’a eu d’égal que l’absence de réactions publiques. Nous sommes-nous habitués à l’innommable ? Quand les représentants de la loi deviennent illégalité, peut-on encore parler d’Etat de droit en France ?

Face aux violences répétées par les forces de l’ordre à l’encontre des personnes exilées, face aux violences engendrées pour toutes les personnes vivant sur le littoral, nous devons, aujourd’hui, regarder la réalité en face. Les accords du Touquet, qui auraient dû être révisés, ne permettent pas le respect de l’Etat de droit à la frontière franco-britannique.

Ce sont essentiellement les associations sur place, impressionnantes de solidarité, qui luttent contre ces conditions d’existence indignes en donnant aux personnes exilées des moyens de subsistance auxquels toute personne a droit : de l’eau, de la nourriture, un toit, même s’il s’agit de tentes systématiquement lacérées lors des opérations d’évacuation.

A cette crise de l’humanité s’ajoute un déni de réalité. Ce n’est pas en construisant des murs plus hauts, en armant mieux la police, en pratiquant la politique dite « du zéro point de fixation » que les personnes en situation d’exil cesseront de fuir leur pays pour des raisons politiques, économiques, climatiques. Le repli sur soi ne fermera pas nos frontières. Mais le non-accueil, lui, aggrave la situation. En mettant tout le monde en situation de vulnérabilité : personnes exilées, associations et habitants.

Nous, citoyens, élus de la nation, appelons le gouvernement à organiser une politique de l’accueil inconditionnel, à garantir le respect de la dignité de la personne humaine, et à faire la lumière sur les pratiques à l’œuvre à la frontière franco-britannique. Réaffirmons les valeurs de solidarité et de fraternité qui sont les marques de notre histoire.

Sont signataires de cette tribune : Ariane Ascaride, actrice ; Arthur Delaporte, député (Parti socialiste) du Calvados ; Annie Ernaux, écrivaine, Prix Nobel de littérature 2022 ; Jean-François Coulomme, député (La France insoumise) de Savoie ; Elsa Faucillon, députée (Parti communiste français) des Hauts-de-Seine ; Charles Fournier, député (Les Ecologistes) d’Indre-et-Loire ; Robert Guédiguian, réalisateur de cinéma et producteur ; Corinne Masiero, actrice ; Danielle Simonnet, députée (groupe Ecologiste et social) de Paris ; JoeyStarr, chanteur et acteur.