Suspension de la réforme des retraites : pourquoi renoncer temporairement à la censure

La censure nous démange mais alors pourquoi y renoncer temporairement ? Après le choc de l’annonce, quelques explications suite à une victoire plus que symbolique du PS sur la macronie, avec la suspension de la réforme des retraites, et dresser quelques perspectives.

La période politique est particulièrement trouble et troublée, chacun en convient. Depuis les élections législatives de 2022, et plus encore depuis 2024, il n’y a plus de majorité à l’Assemblée nationale. L’histoire s’accélère et l’impression de chaos institutionnel domine. La gauche est arrivée comme la première force parlementaire, et pourtant les macronistes alliés jusqu’à peu à LR continuent de gouverner avec un sentiment de supériorité profondément agaçant. D’un point de vue démocratique, le signal est catastrophique et ne fait que renforcer la détestation du chef de l’État. 

Le dépôt d’une motion de censure, consécutive à la déclaration de politique du Premier ministre, me conduit à devoir répondre à un dilemme véritable : censurer un gouvernement qui apparaît comme le prolongateur des politiques que je combats avec vigueur depuis 2022, ou lui laisser quelque temps d’existence supplémentaire pour tenter d’obtenir des victoires majeures pour nos concitoyens et un peu de répit ? 

Après quarante huit heures de réflexion, mon choix est fait : il faut tenter à court terme la non censure, pour engranger des avancées pour la gauche et les Français. La censure interviendra quoi qu’il en soit si les macronistes ne tiennent pas leurs engagements récents et si la copie odieuse du budget qu’ils ont déposé n’est pas profondément remaniée. 

La période qui s’ouvre, avec son lot d’incertitudes, doit être celle d’une tentative de reparlementarisation profonde de la Ve République où, pour la première fois je l’espère, sans 49.3, le gouvernement est le vassal du Parlement et de ses équilibres et non l’inverse.

Un gouvernement macroniste aux relents de mépris démocratique

La nomination puis la renomination de Sébastien Lecornu ont pourtant renforcé un sentiment d’écœurement du peuple de gauche qui attendait légitimement de nous voir arriver à Matignon. Force est de constater que le chef de l’État s’y refuse. L’éclatement du « socle commun » (qui n’avait finalement de commun que sa capacité à se diviser vu la cacophonie qui a dominé ces derniers mois) a révélé au grand jour l’imposture d’un macronisme qui s’appuyait sur cette prétendue alliance pour rester en place. Sans les LR (exit Retailleau & consorts), et désormais censuré systématiquement par le RN, dans un revirement de position puisque c’était grâce au parti de Marine Le Pen que les macronistes ont survécu à plusieurs censures et fait passer leurs pires lois (immigration, Mayotte, Duplomb, etc.), le roi est nu. Comment alors accepter de les laisser continuer à gouverner pendant au moins 10 semaines (le temps de la discussion budgétaire) en envisageant une non censure conditionnée ?

Le budget présenté est profondément injuste et inacceptable

Nombreux sont ceux qui légitimement me disent : mais comment accepter que les macronistes qui ont fait tant de mal au pays depuis 8 ans restent encore au pouvoir. Je les comprends tellement. Le budget qui a été révélé cette semaine est un condensé de leurs horreurs : faiblesse sur la taxation des ultra riches, mesures anti sociales avec le gel des prestations, fin de l’abattement fiscal pour les retraités, la restriction des APL qui bénéficiaient jusque là aux étudiants étrangers dont on connaît la précarité par ailleurs, fiscalisation des indemnités pour les personnes atteintes de cancer, année blanche fiscale qui pénalisera d’abord les travailleurs les moins aisés… Pour autant, ce budget n’est à ce stade qu’une copie inacceptable et non le budget final sorti corrigé et remodelé par le débat parlementaire. Si ces horreurs y sont toujours à la fin, il est évident que le gouvernement ne pourra qu’être censuré et donc que ce budget n’existera pas en définitive. Les macronistes sont désormais bien seuls.

La censure, une tentation forte, mais pour aller où ?

Pour autant, il peut être tentant de censurer quand même ce gouvernement dès maintenant. J’ai eu l’occasion de dire mardi sur Sud radio que la censure me démangeait fortement tant ils m’exaspèrent notamment par leur arrogance. Élu contre le macronisme, je n’ai aucune envie de les voir gouverner un jour de plus. 

La conséquence d’une censure, qui aurait fait tomber le gouvernement, aurait pu nous conduire soit à la démission du chef de l’État mais je n’y crois guère, soit à la nomination d’un énième gouvernement de droite, qui aurait été censuré de nouveau, soit à la nomination – enfin ? – de la gauche à Matignon (les trois expériences passées nous laissaient peu d’espoir, et nous serions, une fois au pouvoir, en devoir d’obtenir également des compromis), soit à une dissolution. Je n’ai pas peur à titre personnel de nouvelles élections mais on peut aussi craindre plus largement, et la législative partielle remportée par le RN le weekend dernier l’illustre, qu’elle conduise soit à des équilibres similaires dans ce parlement tripolaire, et donc à repousser le problème, soit à un renforcement de l’extrême-droite même si le pire n’est jamais certain. 

L’abandon du totem des retraites, un point de bascule

Depuis, et alors que j’avais cessé de le croire possible, un élément est venu changer la donne : Sébastien Lecornu s’est plié à notre exigence d’endosser la suspension de la réforme des retraites (sur les deux paramètres, âge légal et durée de cotisation). Précisons que cette suspension ne vaudrait à ce stade que jusqu’en 2028, mais notre objectif est bien de remporter l’élection présidentielle et les élections législatives pour régler la chose. Avec la suspension, c’est possiblement 3 mois de retraite supplémentaires pour ceux qui sont nés en 1964, 6 pour les générations suivantes de 1965 à 1969. Néanmoins, il ne s’agit à ce stade que d’une annonce et non d’une réalisation. La censure de rejet formel de tout gouvernement macroniste pouvait se justifier mais elle n’aurait pas permis davantage l’abrogation immédiate, ni même la suspension. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », dit-on chez moi.

La position portée par Olivier Faure d’une discussion budgétaire démocratique, et avec la demande, comme préalable à toute non censure éventuelle, de faire amende honorable notable sur les retraites, principale violence démocratique, symbolique et sur les vies, doit donc se regarder comme le seul chemin possible à l’heure actuelle en attendant de préparer les victoires de demain.

Cela suppose donc de se risquer au pari d’un autre fonctionnement du Parlement, tellement difficile à imaginer parce que ce dernier n’a été depuis 1962 qu’une simple chambre d’enregistrement des désidératas du gouvernement. Mais depuis la fin du socle commun la situation n’est plus la même, les rapports de force ont changé : ce renoncement au goût très amer pour les macronistes, inimaginable il y a quelques jours, en est la preuve.

Désormais, il faut pousser l’avantage : on ne peut pas ne pas tenter le pari, maintenant qu’on a obtenu une victoire plus que symbolique, de transformer l’essai en loi et d’aller jusqu’au bout pour obtenir d’autres victoires réelles. Ce pari n’est pas si risqué puisque nous gardons l’arme de la censure en bout de course. Soit nous gagnons, soit ils perdent.

La victoire symbolique sur une réforme honnie : une épée de Damoclès et un gage pour la suite 

Quoi qu’il en soit, grâce à la pression exercée par les socialistes, voir les macronistes renoncer à la réforme des retraites, leur totem, a déjà en soit quelque chose de satisfaisant. Le sentiment de toute puissance macroniste a pris fin. Les voir se diviser avec l’ouverture de l’ère post-jupiterienne, et s’accuser mutuellement d’avoir cédé à la gauche pour les uns, ou d’être rétifs au compromis pour les autres, peut aussi montrer que, quelque part, il existe un chemin pour qu’ils comprennent enfin qu’ils ont perdu. Peu importe le véhicule législatif (projet de loi de financement de la sécurité sociale, projet de loi spécifique…). S’ils venaient à faire défaillance à leur gouvernement pendant les débats, et à refuser la réforme de la réforme ou à vider le texte de sa substance, ils seraient censurés. Ils ont leur destin entre leurs mains, contraints désormais à accepter d’endosser non plus ce qu’Emmanuel Macron leur ordonne mais ce que la gauche défend. 

La non censure est une menace, une épée de Damoclès pesant en permanence sur le destin du gouvernement et, par voie de conséquence, sur les parlementaires macronistes eux-mêmes. Ils devront donc accepter plus de justice fiscale, sociale et écologique. Ou renoncer à tout.

Le gain de la non censure : vers une reparlementarisation du régime et une capacité à écrire enfin un autre budget

Je fais donc le parti d’un optimisme raisonnable. Si les macronistes respectent la décision et les arbitrages de leur Premier ministre, nous aurons d’autres victoires dans un régime reparlementarisé. 

S’ils se montrent trop indépendants vis-à-vis de l’exécutif (ce serait un comble venant d’eux !) en refusant nos propositions de justice sociale et fiscale, il n’y aura certes pas de reparlementarisation durable, mais les socialistes censureront et les macronistes devront en payer les conséquences en renforçant l’instabilité que le chef de l’État a lui-même provoqué.

La non-censure temporaire est donc la tentative d’inversion du rapport de force et de domination morale qu’imposent les macronistes pour essayer en l’espace de quelques semaines de renverser les règles du jeu institutionnel, de montrer que le Parlement n’est plus dominé par la peur qu’ont les opposition de la censure ou de la dissolution, mais dynamisé par l’espace politique ouvert par la crainte qu’en ont les macronistes. Elle conduira je l’espère à dégager des majorités où, contraints par l’acceptation déjà visibles des nouveaux rapports de force, les macronistes seront dans l’obligation de redonner  à la gauche une capacité d’agir véritable.

Des victoires réelles pour la gauche que nous allons tout faire pour convertir en actes !

Gageons donc que les victoires concrètes que nous obtiendrons, celle sur les retraites et toutes les autres, seront la meilleure preuve que, non seulement le PS n’a pas trahi la gauche, mais par ailleurs qu’en acceptant un compromis – ne pas censurer pendant un temps – nous avons refusé de considérer que le projet que nous portons n’était qu’un programme électoral et que nous avions également le devoir de le transformer pour l’inscrire durablement dans la loi. 

Si les macronistes venaient finalement à refuser cette logique nouvelle, alors je n’aurai aucun état d’âme à censurer tout budget ou projet de loi ultérieur qui comporterait encore un torrent d’injustices. Le gouvernement tomberait et, alors, nous repartirions devant les électeurs avec comme bilan celui d’avoir essayé de faire vivre dans l’espace public les propositions de la gauche, sans renoncer à les faire advenir ici et maintenant.

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