Intervention à Bordeaux, colloque sur l’influence commerciale

Intervention au colloque à l’université de Bordeaux sur la loi influenceurs – Octobre 2024

[seul le prononcé fait foi]

“Je vais aujourd’hui tenter de déplier d’une certaine manière les logiques qui ont fait qu’aujourd’hui, on se retrouve avec cet objet législatif qui est la loi du 9 juin 2023. Il faut garder en tête que c’est une initiative d’abord du Parlement qui a souvent été citée comme l’un des meilleurs exemples du travail transpartisan qu’on pouvait faire à l’Assemblée nationale pendant une période pourtant mouvementée, puisque cette loi a été fabriquée en même temps que la réforme des retraites. Donc on avait à la fois le plus symbolique de ce que peut produire la conflictualité parlementaire et dont je défends par ailleurs la nécessité, mais aussi de ce que peut produire le Parlement comme un espace de construction commune et apaisée sur des sujets perçus comme étant d’intérêt général et plus consensuels.

Pourquoi la loi influenceur est-elle un sujet consensuel ? À priori, c’est parce que c’est un objet qui s’est construit médiatiquement dans les mois qui ont précédé la première élaboration de la loi par un certain nombre de jalons. Le premier ayant été une enquête de Complément d’enquête qui a montré les dérives de l’influence à la fin de l’été 2022. Et par ailleurs, un travail de Libération aussi sur les influsvoleurs qui ont contribué à diffuser auprès d’un public pas forcément habitué des réseaux sociaux ce que pouvaient être les dérives de l’influence commerciale. Il faut également mentionner le rôle du rappeur Booba qui s’est érigé en chevalier blanc de la lutte contre le néologisme des “influsvoleurs” qui a contribué à attirer l’attention des médias et à visibiliser un certain de dérives, en ciblant en particulier les influenceurs issus de la téléréalité et notamment Maeva Ghennam. Mais quand je suis rentré dans le sujet, je n’avais pas conscience de l’existence de ce terreau social préexistant. 

  1. Genèse de mon engagement

C’est à l’occasion d’un débat parlementaire sur la lutte contre les dérives de l’utilisation du compte personnel de formation que j’ai eu l’occasion de commencer à m’intéresser à l’influence commerciale. En préparant mon discours dans l’hémicycle et en discutant avec mon collaborateur, nous évoquons le sujet des publicités par des influenceurs. En se renseignant, nous découvrons le cas de Maeva Ghennam que je ne connaissais pas particulièrement. Je monte à la tribune, et commence ainsi : “Madame la Présidente, Madame la Ministre, chers collègues, mes amours, je voudrais vous parler de FAST Formation. C’est une formation 100% gratuite, elle est financée par l’État”. Cette vidéo a très bien marché sur les réseaux sociaux. Je me suis ainsi retrouvé invité chez un YouTubeur, Sam Zirah, pour parler des dérives de l’influence commerciale. Au Parlement, il y avait quelques collègues qui commençaient au même moment à travailler sur ce sujet : Aurélien Taché, député écolo, en même temps deux collègues insoumis, François Piquemal et Nadège Abomangoli et, macroniste, Stéphane Vojetta.

Donc, on regarde un peu le problème. On essaie de diagnostiquer quels sont les enjeux. Est-ce qu’il y a un problème au niveau de la loi ? Est-ce qu’il y a un problème au niveau de la connaissance de la loi ? Il s’avère qu’il y a déjà un droit de la consommation qui existe, qui permet de réguler les pratiques commerciales trompeuses. 

Mais on ne sait pas trop ce que c’est qu’un influenceur qu’il faut commencer par définir juridiquement. Et puis, on voit aussi qu’il y a un certain nombre de promotions qui sont faites par les influenceurs, qui sont a priori légales mais qui sont problématiques. On pourrait parler de l’alcool, mais moi, ce qui me marque de prime abord, c’est la pub pour la chirurgie esthétique. Par exemple, vous avez quelque chose qui avait beaucoup choqué à l’époque, c’est Maeva Ghennam qui faisait la pub pour avoir le vagin d’une fille de 12 ans grâce à de la chirurgie. 

Donc on se dit qu’il faut aller plus loin dans la régulation de la publicité des contenus par les influenceurs parce qu’ils sont une catégorie d’émetteurs spécifiques qui, parce qu’ils sont à la fois des individus, mais qui peuvent diffuser extrêmement largement des contenus.

Ils passent également leur temps à avoir des cadeaux et à nous faire croire que ce rouge à lèvres est exceptionnel parce qu’il a une super couleur, alors qu’en fait il a juste été envoyé par une marque qui les a payé ou alors qui leur a envoyé gratuitement plein d’échantillons. Ils ont un avantage à faire la promotion de cette marque sans l’obtenir. Ça rentre dans le cadre de la promotion des pratiques commerciales trompeuses, mais la question de l’avantage en nature est très discutée. 

Voilà un peu ce que je me dis en allant une première fois chez Sam Zirah où il me fait une interview un peu face à face parce qu’il y a deux formats d’émission. Et puis une deuxième fois où là, il organise un format avec des influenceuses avec lesquelles je discute de leurs pratiques, de la manière dont on pourrait ou pas réguler leur activité. C’est donc ce qui m’amène à proposer une loi. C’est vraiment le sujet qui n’est pas vraiment vu au départ par les collègues comme étant un sujet sérieux. Sauf que ça peut avoir un impact sur la vie de certaines personnes. Par exemple, la publicité trompeuse pour des crypto, il y a des gens qui vont perdre leurs économies. Il y a un collectif qui s’est constitué autour de ça, le collectif AVI, qui collecte un peu les conséquences des canals de trading de Marc Blata, par exemple.

  1. D’une loi socialiste à une loi transpartisane

Voilà comment j’ai dépose la première version de la loi influenceurs, inscrite à l’ordre du jour de la niche socialiste. La niche socialiste, c’est une journée réservée aux parlementaires qui arrive une fois par an. Nous, notre niche, elle était fin janvier 2023 en commission et début février en séance publique. Je porte donc ce sujet dans mon groupe, j’obtiens l’arbitrage et derrière mon téléphone sonne. C’est le cabinet de Bruno Le Maire : “oui, alors bonjour, on a vu votre proposition de loi influenceur. Elle n’est pas si mal, mais on est un peu embêté, donc venez nous voir”.  C’est comme ça que tout début janvier 2023, je me retrouve à Bercy, dans le bureau du conseiller numérique de Bruno Le Maire, qui me dit : “On avait promis à quelqu’un qui bosse avec nous, Stéphane Vojetta, de travailler sur les sujets d’influence. Donc essayez de travailler avec lui parce qu’on pourrait vous soutenir”. Je dis : “Non, attendez, c’est des socialistes, on a mis ça dans notre niche. Vous avez qu’à voter contre si vous n’êtes pas d’accord”. Il savait très bien que si les macronistes votaient contre une loi influenceur, il serait les complices des influsvoleurs. Il y avait ici un mécanisme qui faisait que le gouvernement était obligé d’entrer dans une logique de coopération avec un député d’opposition. 

Quelques jours plus tard, je me retrouve donc à prendre un café Stéphane Vojetta. On commence à discuter et il me dit : “Moi, j’avais commencé à travailler sur un projet de loi avec l’idée d’encadrer la capacité des influenceurs à contractualiser, à créer un rôle spécifique pour les agents et puis à mettre des obligations pour les plateformes”. Je me suis dit: “Ça tombe bien, c’est des choses dont je ne parlais pas”. On se retrouve et on se dit: “C’est super, on a un magnifique entonnoir, on part de l’influenceur, on regarde ce qu’il peut publier, puis on va aller ensuite regarder ceux qui sont dans l’entourage de l’influenceur, essayer de définir leur rôle et de gérer les relations entre ces acteurs autour de l’influenceur qui avaient une responsabilité, les agences, dans ce que publiaient les influenceurs”. Il y avait des agences qui faisaient bien leur métier, mais qui aussi pouvaient avoir besoin d’un cadre. Voilà comment on se retrouve à avoir cette loi, un objet législatif qu’on dépose où on fusionne nos deux textes

On discute d’abord mon texte lors de la niche socialiste parce que mon groupe a dit: “Toi, tu fais ton truc risqué avec le gouvernement, tu vas te faire bouffer par Bruno Le Maire, mais nous, on veut quand même qu’on montre que c’est nous qui avons les premiers, nous Les socialistes, fait ce sujet-là”. Parce qu’il y a toujours un enjeu identitaire à marquer et essayer de préempter un sujet. Donc on fait comme ça, on commence à travailler le texte et ça permet aussi d’avoir les premières discussions, que je sois nommé rapporteur et courant janvier de mener les premières auditions. En général, le problème sur un examen de texte législatif, est on est généralement nommé rapporteur, c’est-à-dire responsable du texte, chargé de faire des auditions, de proposer des amendements pour le modifier, deux semaines avant l’examen. Donc, c’est très court pour avoir le temps de travailler. Alors que là, le fait d’avoir deux examens de deux lois dont l’une était contenue dans l’autre nous a permis finalement d’avoir deux mois pour faire des auditions et de faire les sujets les uns après les autres, de commencer à rencontrer les acteurs et donc de donner plus de temps pour la fabrication du texte parlementaire. Cela nous a beaucoup apporté et nous a permis aussi de monter en compétence sur un sujet qui était quand même loin, en tout cas pour ma part, de mes domaines premiers de préoccupation qui étaient plutôt les questions sociales.

  1. Discussion du texte et évolutions

Après, la discussion du texte a été extrêmement intéressante et a donné aussi lieu à des pratiques qu’on observe parfois dans l’Assemblée nationale, à l’influence des lobbies ou représentants d’intérêt. Parce qu’à partir du moment où vous régulez un secteur qui jusque-là disait: “Regardez l’autorégulation, c’est génial et ça suffit, on n’a pas besoin de texte de loi”, ce secteur a tendance à se mobiliser. 

Il y a différents types d’acteurs dans ce secteur. Vous avez d’une part, évidemment, les influenceurs eux-mêmes. Mais bon, ils n’avaient pas vraiment de syndicat. Ils avaient plutôt des gens qui gèrent leurs intérêts économiques, qui se sont structurés au fur et à mesure que le texte se fabriquait parce qu’en parallèle, le ministère de l’Économie avait lancé des tables rondes autour de l’influence commerciale. Et c’est à ce moment là que s’est créé l’UMICC, l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu. L’UMICC a accompagné la construction de la loi avec de l’activité, je dirais, de lobbying, mais aussi de vigie.
Autre acteur, vous avez évidemment les marques. Les marques, et en particulier les marques qui gagnent beaucoup d’argent grâce à l’influence commerciale. Les alcooliers, par exemple. Pour prendre un sujet, si on consomme aujourd’hui beaucoup de Spritz Aperol, on peut dire que c’est une tendance qui s’est diffusée en France comme ça, spontanément, tout le monde se mettant à prendre des Spritz parce que c’est sympa. Mais il faut savoir que Aperol a mis des millions d’euros dans la promotion par des influenceurs du Spritz, qui ont diffusé l’idée que c’était cool et sympa de prendre des Spritz, ce qui fait qu’on est passé de 10 000 bouteilles d’Aperol vendues en 2011 à 73 millions en 2023. Ça vous laisse une idée aussi de la capacité de l’influence à diffuser un certain nombre de standards et aussi de pratiques de consommation. Bref, en en discutant avec notamment un bon lobby qui s’appelle Addiction France, qui lutte contre la promotion de l’alcool, notamment sur le web, nous nous disons qu’il faut interdire plus strictement la promotion de l’alcool. Mais il y a des députés à l’Assemblée nationale qui ont des circonscriptions viticoles et auxquels le lobby du vin propose des amendements pour virer l’interdiction stricte. 

On a également eu à faire face au lobbies des jeux qui sont venus nous expliquer que c’était quand même super parce qu’un footballer faisait aussi des vidéos de prévention en disant : “Regardez, il faut savoir faire une pause, c’est comme à l’entraînement, etc”

On a donc essayé d’adapter le texte pour le faire passer malgré les lobbys. Sur la promotion de l’alcool, on s’est contenté de mentionner la loi Evin en considérant que c’était déjà un premier pas. Sur la question des paris sportifs, on a mis en place un mécanisme qui, certes, n’interdit pas dans l’absolu la promotion des paris sportifs, mais empêche de faire de la promotion sportive quand il y a des mineurs qui font partie de l’audience. Ce qui oblige à la mise en place de mécanismes de régulation et d’éviction des mineurs, ce qui est quand même assez compliqué, ce qui a donc un effet aujourd’hui sur la promotion sur certains types de promotions qui sont de plus en plus surveillées. 

La discussion s’est prolongée au Sénat qui a voulu ajouter sa touche et rajouté incidemment des complications en mettant par exemple entre guillemets la terminologie qu’on avait proposée. Par exemple, quand on dit pour les logiques de transparence, on dit: “Nous, on veut mettre communication commerciale ou publicité”, le Sénat met des guillemets. Ça veut dire que c’est obligatoirement ça. Quand on fait une pub, on était obligé de dire ce qui est mis entre guillemets. C’était un point dur pour le Sénat qui conditionnait notamment la commission mixte paritaire conclusive donc nous avons transigé. C’est comme ça que cette loi influenceur a été votée à l’unanimité à l’Assemblée, mais parce qu’on fait des compromis parce que l’objet premier, la loi, nous paraissait utile pour diffuser un cadre commun, déjà définir l’influence commerciale, montrer que, comme on l’a dit, que la loi de la jungle, c’était fini. 

  1. Perspectives et nécessaires évolutions

Après, dans les deux minutes qui me restent, c’est ça, dans les trois minutes qui me restent, la réussite principale, c’est ça. C’est la diffusion d’un cadre commun, son application plus large, l’existence de moyens renforcés pour la Direction générale de la consommation de la concurrence des fraudes pour faire appliquer cette loi, avec une quinzaine de spécialistes à ce niveau-là. Les limites, c’est que ces moyens, notamment humains, pour faire appliquer la loi, restent toujours insuffisants. C’est-à-dire que par rapport à l’ampleur du nombre de publications rapporté à 15 personnes, c’est toujours extrêmement faible. En plus, ce n’est pas du contrôle en temps réel, mais c’est essentiellement du ciblage et du contrôle a posteriori.

Il y a un autre problème, c’est que cette loi s’est confrontée à un cadre européen. D’une part en raison procédures de notification à la Commission européenne et d’autre part avec l’entrée en vigueur, notamment depuis la promulgation de la loi, c’est-à-dire à la fin de l’été 2023, du DSA, Digital Services Act, qui vient réguler l’activité, notamment des plateformes du numérique, sur les réseaux. La Commission nous a donc dit en somme : “vous retirez ces éléments de votre loi parce que c’est le droit européen qui s’applique, il est prioritaire par rapport à ça”

Donc, on retire ces éléments avec l’ordonnance qui va rentrer en vigueur prochainement et sur laquelle la Commission européenne vient de donner un avis favorable. On réécrit aussi des micro points. Par exemple, on en profite pour virer les guillemets introduits par le Sénat sur les éléments que je viens d’évoquer. On en profite aussi pour préciser un élément sur le champ d’application, le périmètre d’application de cette loi parce que nous, on a avait voulu l’appliquer au monde entier. Mais quand on est arrivé à la Commission européenne, ils nous ont dit: “Non, c’est contraire au principe du marché unique, vous ne pouvez pas imposer à quelqu’un qui est dans un pays voisin, qui a théoriquement des normes de protection équivalentes, des normes de droit français”. On a dit: “La loi, elle s’applique aux influenceurs français et aux influenceurs extérieurs au territoire européen. Et pour les influenceurs de l’Europe, de l’Union européenne, mais extérieurs à la France, ce sont les règles des pays qui s’appliquent, à condition qu’il y ait une règle équivalente”. Ce qui permet, s’il n’y a pas de règle équivalente, d’appliquer du coup à ces influenceurs extérieurs la loi influenceur. Donc, on crée une étape supplémentaire pour être carré avec le droit européen. 

Voilà un petit peu les modifications qui sont venues. Maintenant, quelles perspectives pour finir ?  On le voit avec l’ordonnance, la loi est un objet évolutif et non figé, qui correspond à son temps, avec des problématiques qu’on identifie au fur et à mesure pour tenter de canaliser  des champs qui n’étaient pas forcément bien régulés. L’influence commerciale en était un. Cela a pu nous amener à innover. Désormais il y a tout un champ juridique qui se structure autour de la loi et qui fait aussi remonter des choses qui auront l’occasion d’être débattues sur les imperfections de la loi. La loi, c’est un processus itératif. Parce qu’il y a toujours des failles et imperfections, qu’elle est amenée à évoluer, à être modifiée. Nous avons donc contribué à produire un texte qui, disons, fait partie maintenant d’un bagage commun et en particulier du bagage des influenceurs, qui est approprié et porté notamment par un certain nombre d’acteurs, l’UMICC, l’ARP (l’autorité de régulation de la publicité) mais qui devra dans les années qui viennent, continuer d’évoluer. Et c’est ça la beauté du droit. Merci à vous.”

Recomposition 

Il fut un temps où j’intervenais davantage en observateur critique qu’en acteur de la vie publique, car j’étais alors chercheur et doctorant. Mes participations aux colloques consistaient à analyser les travaux d’autrui plutôt qu’à présenter des réalisations législatives. Aujourd’hui, mon rôle a changé et il s’agit d’expliquer la manière dont s’est construite la loi du 9 juin 2023, dite loi Delaporte-Vojetta, un texte parlementaire né d’une initiative transpartisane et adopté dans un contexte marqué par la conflictualité de la réforme des retraites. Cette loi illustre donc à la fois la capacité du Parlement à exprimer des oppositions frontales et sa capacité à construire des compromis sur des sujets perçus comme d’intérêt général.

La loi influenceurs a trouvé un terrain favorable dans un contexte médiatique qui avait déjà mis en lumière les dérives de l’influence commerciale. À l’été 2022, un reportage de Complément d’enquête a dévoilé certaines pratiques abusives, suivi d’enquêtes de presse, notamment de Libération, qui popularisa le terme “influvoleurs”. Ces révélations ont touché un public qui n’était pas forcément familier des réseaux sociaux mais qui a découvert à cette occasion l’ampleur des dérives. Dans le même temps, le rappeur Booba a mobilisé sa forte audience pour dénoncer ces abus, ciblant notamment les influenceurs issus de la téléréalité et contribuant à amplifier le débat public sur ces questions.

C’est par hasard que je suis entré dans ce sujet, à l’occasion d’un texte relatif à la lutte contre la fraude au compte personnel de formation. Pour illustrer les dérives de ce système, j’avais choisi en commission de lire des SMS frauduleux reçus par des citoyens, en imaginant une “Mamie Pauline” harcelée par ces arnaques. Le succès de cette mise en scène m’a conduit, en séance publique, à élargir le propos aux influenceurs qui faisaient la promotion de ces fraudes. J’ai alors repris le style de Maeva Ghennam, qui avait relayé ces publicités trompeuses, et la vidéo a largement circulé, notamment après avoir été repartagée par Booba. C’est ainsi qu’à partir d’un texte jugé secondaire, je me suis retrouvé invité par des créateurs de contenu comme Sam Zirah et identifié comme l’un des députés travaillant sur les dérives de l’influence.

Le constat était clair. Le droit de la consommation existait déjà pour encadrer les pratiques commerciales trompeuses, mais la notion d’influenceur n’était pas définie juridiquement. Certaines pratiques, telles que la publicité pour la chirurgie esthétique ou pour les produits financiers risqués, bien que légales, posaient de réels problèmes éthiques et sociaux. Il fallait donc définir l’influenceur, encadrer les avantages en nature, instaurer des règles de transparence, réguler des secteurs sensibles et donner un cadre juridique à une activité jusque-là marquée par la loi du plus fort.

Au départ, dans mon groupe socialiste, certains ont qualifié ce projet de “loi Booba” et n’y ont pas vu un sujet sérieux. Mais les faits étaient là : des familles perdaient leurs économies à cause de promotions frauduleuses, notamment dans le domaine des crypto-monnaies ou du trading. Lorsque j’ai déposé une première proposition de loi dans la niche parlementaire socialiste, le ministère de l’Économie m’a contacté, travaillant déjà avec Stéphane Vojetta sur un projet complémentaire. Son texte portait sur l’encadrement des agents et des plateformes, tandis que le mien s’attachait aux contenus. Nous avons décidé de fusionner nos travaux, ce qui a permis d’obtenir une approche cohérente : définition de l’influenceur, obligations de transparence pour les contenus sponsorisés, encadrement des agences et des plateformes, restrictions concernant des secteurs sensibles comme l’alcool, les jeux d’argent ou la chirurgie esthétique.

L’examen parlementaire a été marqué par l’influence des lobbies. Les alcooliers, par exemple, ont exercé une forte pression pour limiter l’encadrement, en invoquant la loi Evin. Le secteur des paris sportifs a défendu ses pratiques publicitaires sous couvert de “prévention”. Nous avons dû composer et accepter des compromis : mentionner explicitement la loi Evin pour les influenceurs, instaurer une interdiction de cibler les mineurs pour les paris sportifs, etc. Le Sénat, de son côté, a renforcé certaines dispositions, notamment sur l’obligation d’afficher le mot “publicité”. Ces ajustements ont permis de trouver un accord et la loi a été adoptée à l’unanimité.

La loi du 9 juin 2023 a apporté plusieurs avancées majeures : la reconnaissance juridique de l’influence commerciale, l’instauration d’un cadre commun de transparence et le renforcement des moyens de contrôle de la DGCCRF. Elle présente néanmoins des limites. Les effectifs chargés de son application demeurent insuffisants, avec seulement une quinzaine d’agents spécialisés. Le contrôle s’effectue a posteriori, et non en temps réel, ce qui limite son efficacité. Enfin, son articulation avec le droit européen, en particulier avec le Digital Services Act entré en vigueur peu après son adoption, a nécessité des ajustements. Une ordonnance a corrigé certains points techniques pour sécuriser l’application de la loi au regard du droit européen.

Cette loi n’est pas un texte figé mais un objet évolutif. Elle constitue une première étape qui appelle des ajustements et qui aura vocation à s’adapter aux évolutions des pratiques numériques. Elle a posé une définition, instauré un cadre, envoyé un signal clair en affirmant que la loi de la jungle devait prendre fin. Je suis fier d’avoir contribué à l’élaboration d’un texte qui, même imparfait, marque un tournant dans la régulation de l’influence et protège les citoyens. C’est là, au fond, la beauté du droit : un processus vivant, itératif, qui s’adapte à son temps et qui construit progressivement un cadre protecteur pour l’ensemble de la société.

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